Interview du Dr. Stafylakis : Médecin Volontaire au Rallye Dakar 2024

Découvrez l'interview exclusive du Dr. Stafylakis, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, plongé dans l'univers envoûtant du Rallye Dakar 2024 en tant que médecin. Passionné de sport automobile, il nous partage son expérience captivante au cœur des déserts saoudiens, veillant sur la santé et la sécurité des participants.

1. Comment êtes-vous devenu médecin au Rallye Dakar 2024 ?

C'est une belle histoire ! Ma passion pour le rallye m'a conduit à une rencontre fortuite avec un patient, Monsieur Frank Reinelt, arborant un tatouage de Dakar que j’ai remarqué lors de sa consultation à mon cabinet. Échangeant sur notre passion commune, il m'a mis en contact avec la Dre Sophie Lagrange, une ancienne médecin volontaire. De là, mon CV a été transmis à la responsable du recrutement médical, et me voilà devenu médecin au Rallye Dakar 2024 ! Pour la petite anecdote, Frank et moi sommes devenus de bons amis et ce dernier s’est avéré être un pilote de camion légendaire dans les dunes de sable.
 

 2. Comment se sont déroulés les mois suivants votre inscription et votre arrivée sur place ?

Après une formation approfondie et un team building en novembre dernier, nous avons pris la direction de l'Arabie Saoudite en janvier dernier. Là-bas, nous avons été immergés dans l'atmosphère unique du rallye, prêts à relever tous les défis médicaux qui se présenteraient.
 

3. Comment est l’organisation sur place ?

Le bivouac est le centre névralgique nomade de l’événement, un village qui loge plus de 3000 personnes (750 participants, les mécaniciens, les managers, les journalistes, les organisateurs, le personnel de soutien catering-logement, etc.), l'équipement de toutes les équipes (les camions, les motorhomes, etc.), le centre de presse, l'organisation centrale du rallye, le poste médical, l'hélisurface, le catering et les installations sanitaires.
 

4. Au total, combien de médecins sont mobilisés et quelles sont leur spécialité ?

70 professionnels composent l'équipe médicale mobilisée, dont 28 sont des médecins, couvrant diverses spécialités telles que l'anesthésie, l'urgence, la radiologie, la chirurgie viscérale et orthopédique. En plus des médecins, des infirmiers, des physiothérapeutes et des techniciens de radiologie sont également présents. Bien que dépourvu d'un bloc opératoire formel, l'équipe dispose d'un camion équipé d'un appareil de radiologie et d'un scanner, permettant des diagnostics précis sur le terrain.
 

5. Quelles sont vos responsabilités sur place ?

Nous avons la responsabilité de garantir la sécurité et la santé non pas seulement des concurrents mais de l'ensemble du personnel du Rallye ; un travail intense et non-stop, 24h/24. La distance des hôpitaux ajoute également un défi géographique important que nous devons prendre en considération à chaque consultation.
 

6. Pouvez-vous nous expliquer une journée type ?

Les journées varient selon le poste que j'occupe, mais en général, une journée standard se déroule ainsi :

• Réveil entre 4h30 et 5h30.
• Démontage des tentes.
• Déconstruction du poste médical et chargement.
• Installation du nouveau campement.
• Montage de ma tente personnelle pendant l'arrivée des premiers blessés.
• Travaux incessants avec peu de pauses jusqu'au jour suivant.

Les repas sont pris dès qu'une pause se présente. Le sommeil est court et perturbé par l'activité continue du bivouac, avec des températures nocturnes oscillant entre 5 et 10 degrés Celsius vers 23h00.
 

7. Quelle a été la plus grosse journée pour vous ?

La plus grande journée pour moi a dû être la première dans l'Empty Quarter ; la région avec les dunes de sable. Le premier hôpital étant trop loin, tous les polytraumatisés passaient par le bivouac pour le premier tri. Grâce à l'efficacité remarquable d'une équipe dévouée, les blessures graves ont été gérées avec une expertise exceptionnelle, rarement égalée ailleurs.
 

8. À quelles sortes de blessures avez-vous dû faire face ?

Nous avons dû faire face à une grande variété de blessures. Les motards présentaient souvent des fractures osseuses, des traumatismes thoraciques et des lésions de la colonne cervicale, etc. Quant aux pilotes et copilotes de voitures et de camions, ils avaient surtout des blessures à la colonne vertébrale. Cependant, j’ai été surpris par le nombre d’infections que nous avons dû traiter, probablement liées aux conditions d’hygiène dans le désert et notamment de la poussière.
 

9. Quel a été le(s) moment(s) le(s) plus marquant(s) pour vous durant ces deux semaines ?

D'un point de vue médical, ce fut certainement la prise en charge de plusieurs patients traumatisés au cœur du Rub al Khali, accompagné de collègues aussi passionnés que compétents. J'ai eu l'opportunité d'apprendre énormément auprès des radiologues, des physiothérapeutes et des ostéopathes, travaillant pour la première fois côte à côte avec eux.

D'un point de vue humain, le moment le plus mémorable a été la nuit passée dans un bivouac isolé en compagnie de seulement un médecin, cinq physiothérapeutes, les cent premiers pilotes et quelques journalistes. Autour du feu, au milieu des dunes de sable, sous un ciel étoilé, nous partagions notre repas chauffé sur un réchaud. Un moment de partage avec une équipe exceptionnelle.
 

10. Le referiez-vous ?

Je le referais demain ! Avec la même passion ! Le plus difficile est de se séparer de sa famille pendant 3 semaines et de ne pas les avoir avec moi pour voir ce que je vois. Je n'aurais pas pu le faire sans leur soutien.
 

11. De quel animal sont les ossements sur les photos ?

Après quelques minutes de discussion autour de ces ossements, nous avons conclu qu'il s'agissait probablement d'un squelette de chameau, une découverte fascinante pour un orthopédiste.
 

12. Pour finir, comment décrireriez-vous cette expérience ?

C'était tout simplement magique, un dépaysement total ! En une journée, je suis passé de mon cabinet en ville et du visage familier de mes collègues, au milieu du désert, m'intégrant progressivement dans une équipe que je ne connaissais pas, mais composée de personnes toutes extraordinaires. Nous avons partagé des moments de fatigue et de travail intense, des longues nuits avec peu de repos, mais aussi des moments de détente, de rires et d'échanges, non seulement entre nous, mais également avec les participants que nous côtoyions et soignions au quotidien. Ces patients étaient d'une reconnaissance infinie. Le dernier jour, nous nous sommes dit au revoir avec de très grands sourires, espérant nous retrouver l'année prochaine.

L'expérience en vaut la peine, surtout du point de vue social ! Elle m'a également permis de découvrir un pays si unique, si vaste, avec des paysages époustouflants, et d'interagir avec les locaux, surtout lors des visites aux hôpitaux. Quand on se retrouve au sein d'une équipe, isolé du reste du monde et loin de nos vies habituelles, les amitiés se forment rapidement. La mentalité des gens qui en font partie est souvent plus ouverte, et cela a été, sans aucun doute, la meilleure surprise de cette aventure. Pour les passionnés du sport automobile, ce rallye offre l'opportunité unique de rencontrer, soigner et échanger avec les héros du sport, les bien connus mais aussi les méconnus. Ils possèdent un état d'esprit unique. Inutile de dire qu'il s'agit d'une expérience inoubliable. La diversité des situations et des rencontres crée des liens forts, renforcés par les défis surmontés ensemble, que ce soit dans les moments difficiles des longues nuits ou dans les instants de partage avec les participants. Les sourires échangés à la fin de cette aventure témoignent non seulement de la satisfaction de notre mission médicale, mais aussi de l'humanité et de la complicité nées au cœur du désert. C'est une expérience qui transcende les frontières professionnelles pour devenir une aventure humaine exceptionnelle. Tout cela s'est déroulé dans un cadre et milieu uniques, dont je rêvais de découvrir depuis mon enfance.

Une aventure épique qui a non seulement sollicité les compétences médicales du Dr. Stafylakis mais qui a également enrichi sa vie de moments mémorables et de nouvelles amitiés au cœur du désert saoudien.

(Photos prises par Dimitrios Stafylakis, Frank Reinelt et Philippe Meyer)